Etudes de Philologie et d'Histoire
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Derrière l’imagerie populaire de l’alchimiste assis au secret de son fourneau, il y eut jadis des êtres de chair. Qui étaient ces hommes? Comment vivaient-ils? Quelle place tinrent-ils dans la société et dans le monde intellectuel d’alors? Cette étude de la réception de l’alchimie et des doctrines de Paracelse en France s’attache à la production du livre alchimique et paracelsien et à l’histoire des nombreuses querelles que ce dernier provoque. On établit chemin faisant la biographie de plusieurs alchimistes, tel Joseph Du Chesne ou Etienne de Clave, et l’on ruine la légende selon laquelle Descartes, de retour d’Allemagne, aurait été suspecté de rosicrucianisme. L’ouvrage s’achève sur la grande crise des années 1620, o¹ une alchimie inclinant tantôt au matérialisme, tantôt au panthéisme, est englobée par les apologètes chrétiens dans leur condamnation du mouvement libertin.
Alchimie et paracelsisme est le premier d’une série de trois volumes, où seront succssivement étudiés les cercles alchimiques français et le mécénat princier qui les favorisa, ainsi que les rapports entre science, religion et littérature dans la France alchimique de la fin de la Renaissance.
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Alors que l'allégorie statuaire de la Justice s'affirmait publiquement sous des atours susceptibles d'engendrer quelques doutes quant à ses intentions (yeux bandés, glaive et balance, genou dénudé), se met en place dès le XVe siècle dans l'Europe médiane un décor dans les salles de Justice qui puise largement son inspiration dans le registre des images religieuses : Crucifixion, Jugement dernier, Suzanne et les Vieillards, Jugement de Salomon. Quand la justice sort des églises pour devenir l'une des institutions les plus puissantes de l'Etat moderne, elle emporte avec elle des images propres à l'Eglise. Puis, dès que se laïcisera le décor des salles de Justice, des représentations picturales anachroniques, antiquisantes et légendaires tendront à fixer une justice d'un âge révolu, comme à exalter les vertus civiques de ceux qui vont jouer (sur) la scène judiciaire, ces magistrats tourmentés par la pesanteur de leurs charges.
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Monarchomaques : le mot plaît, la chose est méconnue. Ce terme polémique forgé en 1600 dénonce les auteurs qui se sont, ou se seraient, exprimés contre le roi de France. Mais la réalité est plus complexe, le terme désignant tout aussi bien les ouvrages politiques ayant justifié la résistance au tyran entre 1568 et 1600. Il ne s'applique donc pas tant aux hommes - Théodore de Bèze, François Hotman, Philippe Duplessis-Mornay -¬, qu'à leurs écrits. Lesquels ne sont pas restreints à des pamphlets protestants réagissant à la Saint-Barthélemy sur le ton de l'invective, mais constitués de véritables traités théoriques établis sur une réflexion historique. Enfin, ils ne se limitent pas au cadre strict des guerres de religion françaises, mais s'inspirent de plusieurs modèles institutionnels, passés ou contemporains, et s'inscrivent dans le contexte européen.
Les communications réunies par Paul-Alexis Mellet discutent ces questions et offrent au lecteur un bilan de la recherche sur des auteurs ou des écrits encore mal connus. Sont successivement étudiés : les liens entre autorité spirituelle et autorité politique chez Machiavel, le devoir d'obéissance à Florence et à Magdebourg, l'horizon européen des Monarchomaques, en particulier Philippe Duplessis-Mornay aux Pays-Bas et Théodore de Bèze à Genève, enfin le débat sur la contractualisation de la loi et sur l'absolutisme naissant.
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En 1565, Simon de Vallambert fait paraître ses Cinq livres de la maniere de nourrir et gouverner les enfans. Il s’agit du premier traité de pédiatrie en langue française, de l’un des premiers manuels d’enseignement pour les mères, les sages-femmes et les nourrices et c’est aussi l’un des plus anciens régimes de santé consacrés à l’enfance. Lointain ancêtre de nos manuels de médecine, les Cinq Livres fournissent une description précise des maladies infantiles et de leur traitement. Sa publication au milieu du seizième siècle marque un moment essentiel dans l’histoire de la pédiatrie. L’édition qu’en donne Colette Winn, fondée sur la seule impression que nous connaissions de l’ouvrage (BnF Rés. P-T-60), comprend une introduction sur le contexte historique et socio-culturel, un texte critique accompagné de notes copieuses, un index des noms propres, un glossaire étendu, une bibliographie, plusieurs appendices concernant des ouvrages médicaux contemporains ainsi qu’un répertoire des principaux traités de pédiatrie du XVe et du XVIe siècle.
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Emergence du sujet : la formule scellant ce recueil d'études sur les XVIe et XVIIe siècles cautionne la perplexité qu'inspire la notion de « sujet », que Burckhardt, Nietzsche puis Brunschwig avaient pourtant érigé en indice des temps modernes. Le terme même d'émergence suggère que le sujet reste défini par une configuration de concepts mal identifiés voire indéterminés. L'apparence de simplicité d'un « sujet » dissimule la multiplicité de formes, de significations et de définitions que la subjectivité est susceptible d'adopter selon les occasions, les époques ou les stratégies ponctuelles. Néanmoins, le bilan global des communications réunies ici, pour diverses qu'elles soient, dégage certaines constantes et autant de convergences : bien que le « sujet » soit orné de définitions par défaut, ces dernières lui déterminent à tout le moins un cadre herméneutique relevant de l'esthétique (l'auto-représentation auctoriale, l'origine et l'originalité de la parole), de l'ontologie (l'exil, la mort, le deuil) et de la représentation (le masque, la théâtralité, l'intersubjectivité).
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Quiconque considère la résurgence du cynisme à la Renaissance pénètre un domaine vaste, mais laissé en friche par les philosophes et délaissé des littéraires. Quelques exemples suffisent à en évaluer l’étendue : reconnaître Diogène dans le Christ et faire – subrepticement – du premier des Adages un adage diogénique ; s’assimiler à Diogène roulant son tonneau pour illustrer la fabrique du Tiers Livre ; attaquer saint Augustin pour son incapacité à comprendre l’impudeur des cyniques ; souhaiter comme idéal pour l’homme de n’être " serf de personne ". Voilà quatre positions où l’on aura reconnu Erasme, Rabelais, Montaigne ainsi que La Boétie et qui persuadent que si le cynisme est bien une philosophie de la Renaissance, il a aussi été un formidable moyen de penser et de parler à neuf. Alors que le bien-dire envahit l’espace public, le dire vrai des cyniques, incisif, est apte à façonner des formes littéraires inédites et à procurer de nouveaux moyens critiques. Contre ceux qui prémunissent la morale des discours bien-pensants, Diogène n’affirmait-il pas, crânement, que l’exercice de la vertu n’est pas pour les pisse-froid, qu’on peut être obscène et vertueux, violent et pédagogue, tout en restant " joyeux entre mille " ?
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La Renaissance fut-elle vraiment " l'âge du dialogue " ? La forme dialoguée répartissant le discours entre deux personnages ou plus serait-elle l'instrument d'une nouvelle ouverture à l'Autre ? Telles sont les questions auxquelles les travaux d'Eva Kushner s'efforcent de répondre. En France et en Europe, l'omniprésence de la forme discursive ne fait pas de doute. Certes, le dialogue pratique avant tout l'imitation de ses trois grands modèles antiques : Platon, Cicéron et Lucien de Samosate. Mais il s’astreint également à l’adaptation des formes statiques de la dispute médiévale ou des colloques scolaires, avec un mode d'argumentation s’appropriant la divergence. Dans ce sens, il reflète la fragmentation courante de l'autorité non sans pour autant manifester la subjectivité des auteurs. La mimésis, qui met en scène des personnages identifiables et s’exprimant avec animation, le plus souvent en langues vernaculaires, permet aux auteurs d'offrir aux lecteurs une image vivante de leur société, tout en favorisant la persuasion, le dialogue ne cessant jamais tout à fait d'être un instrument rhétorique. En France, un des moments majeurs de l'histoire du dialogue est la décennie inaugurée en 1550, quand il se produit autour de la Pléiade un " dialogue de dialogues " établissant en fait une Pléiade philosophique.
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Au XVIe siècle, les protestants réformés, à Genève surtout, mais également dans la France huguenote, à Londres ou à Berne, intériorisent une conception originale du temps et appliquent une éthique particulière au déroulement de leurs journées. Des contraintes d’ordre spirituel règlent strictement leur rapport au temps, qui est d’abord conçu comme un rapport à Dieu. A chaque minute, Dieu surveille et veille sur ses fidèles, alors qu’à la fin des temps ceux-ci devront lui rendre compte de chacune de leurs minutes, répète sans cesse Jean Calvin dans ses sermons. C’est ainsi que les Genevois vont inventer une valeur moderne, la ponctualité, laquelle était inconnue des Anciens, des Médiévaux et même d’Erasme, de Vives, des premiers jésuites, ainsi que de Rabelais, Ronsard ou Montaigne. La ponctualité ne procède pas formellement d’innovations techniques, elle est d’abord une vertu spirituelle, sociale et disciplinaire.
C’est dans la cité de Calvin que des structures communautaires d’incitation et de contrôle sont instituées ; qu’un nouveau calendrier est élaboré ; qu’une économie nouvelle du temps et de ses parties est pensée ; autant d’applications de la ponctualité auxquelles les protestants, en particulier de confession calviniste, sont encore aujourd’hui redevables. Max Weber, Norbert Elias et Michel Foucault sont convoqués au terme de l’essai pour discuter L’Ordre du temps et comprendre l’invention de la ponctualité.